Joe Dassin - On s'est aimé comme on se quitte (cover) - YouTube
Le monde continue de mal tourner – il reste tant à faire – et ce n'est pas parce que l'on part que... C'est toutes ces histoires qui continueront sans nous, ou autrement. De toute façon, les mômes étaient là bien avant nous. À quoi bon croire que nous sommes indispensables... C'est la dernière semaine. Un petit de treize berges m'apostrophe depuis sa fenêtre: « Wesh Ubi, alors t'es muté? - Comment ça? - Ben en fait, je sais pas ce que ça veut dire 'muté' mais c'est les grands qui ont dit ça... » Tendre sourire. Je lui explique que oui, on se barre, que c'est fini tout ça. « Mais qui on va faire chier alors? - Ben, j'en sais rien, les flics, par exemple... - Ah non! Les flics, c'est obligatoire; vous, c'était pour le plaisir. » Sinon un deuil, du moins une séparation. Une certaine idée d'un service qui se veut encore public, du temps qu'on prenait à réfléchir aux situations, gruger des statistiques inopérantes et insensées, résister à sa façon, de l'intérieur. Que reste-t-il de nos amours?
Mais je pourrais aussi avoir espoir et garder confiance en la vie. Remonter mes manches et me dire que tout n'est pas fini. J'ai aucune idée de ce qui m'attends demain, encore moins dans 10 ans. Tout ce que je sais, c'est que maintenant je n'ai plus aucune excuse de ne pas m'occuper de moi. Je pourrais continuer de sourire à travers quelques larmes et me convaincre que le plus beau est encore à venir. Quoi qu'il en soit, on se regarde, on pleure et on se sourit parce qu'au fond, nous sommes de grands amis. Je regarde vers l'avant, la tête un peu incertaine mais pleine d'espoir. Il a changé de prénom; de Chumi à Ami.
Je pourrais pleurer, me remémorer tous les beaux souvenirs de nos sept années passées ensemble: les papillons du début, les premiers baisers, les belles lettres d'amour, les anniversaires, les vacances, les moments précieux à pleurer en se regardant dans le blanc des yeux à se jurer que l'on s'aimerait toujours… Je pourrais. Je pourrais aussi être en colère, me dire que c'est sept ans de ma vie qui vient d'être foutu en l'air, me dire qu'on aura jamais du faire ceci ou se dire cela, que si telle chose ne serait pas arrivé, nous n'en serions pas rendu là. Me dire que ce sont tous plein de beaux projets d'avenir qui viennent de cesser d'exister. Je pourrais aussi avoir peur, avoir la chienne parce que je ne sais plus comment fonctionner toute seule, parce que je ne l'ai jamais vraiment été au fond. Je pourrais angoisser et me remettre en question. Douter de mon potentiel amoureux, me foutre les jetons à m'imaginer qu'aucun autre gars s'intéressera un jour à moi. Je pourrais avoir peur de me retrouver seule, au beau milieu de ces gens qui me questionnent sur le comment ça c'est passé.
Sept ans plus tard et l'histoire se finit. Les mômes ont grandi et nous avec. Certains sont morts, d'autres partis. Nanterre n'a pas tant changé, vieille ville communiste; mais aujourd'hui le FN y a son siège. L'histoire se finit et l'on aura bien travaillé. Certains ont trouvé des boulots, d'autres ont réussi à quitter l'oppressant foyer familial, on a été invités à des maternités pour des naissances, on a pleuré au cimetière, on a enragé en appel pour des sept ans qui furent prononcés, on a fumé encore une clope dehors avec Mohamed, Anouar, Richard ou Ahamada en se marrant devant la bagnole de la BAC qui se la joue banalisée. L'histoire se finit et ce n'est pas une raison pour ne pas gueuler contre Toufik qui n'a toujours pas repris rendez-vous à la Mission locale alors qu'il passe en procès dans trois mois, pour ne pas demander une dernière chance de permission de sortie pour Hakim, pour ne pas manger chez une daronne et accepter – le bide pourtant bien rempli – une troisième fournée de tajine parce que sinon elle risque de fort se vexer; faire comme si on faisait partie du décor, faire partie des murs, pour toute sa vie.