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- La clef du texte: l' oxymore "condamnés à espérer toujours". Mystère des origines et du devenir des hommes. Sur la route de ce cortège funèbre et résigné, se dresse un être différent et solitaire, pour qui la rencontre est un drame. Différences et similitudes du JE par rapport à ces hommes. Les hommes mystérieux: raisons de la généralisation, de l'indéfini. Le rôle exact de ce témoin, chargé de relater cette rencontre. => condition solitaire du poète, comme "écho sonore" des autres. L'obstination et l'écrasement atteignent aussi le poète, avec une gradation "plus lourdement accablé" et l'adjectif "irrésistible" qui rappelle "invincible besoin de marcher". Mission difficile traduite par l'accumulation des verbes "je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère" Curiosité insatisfaite, échec, mystère insondable, impossibilité de participer au sort des autres => solitude tragique sens du titre = A chacun sa chimère? Conclusion Dans Chacun sa Chimère, grâce à l'allégorie, qu'il considère comme "l'une des formes primitives et des plus naturelles de la poésie", qui est prose par son aspect concret, narratif et descriptif, et poésie par son sens spirituel et sa valeur symbolique, Baudelaire a parfaitement réussi à reconstituer, en une surprenante et poignante vision onirique, à la fois le drame de la condition humaine "condamné[e] à espérer toujours", et la solitude lucide et désespérée du poète.
Mais ce monde onirique, symbole du spleen, est-il seulement caractérisé par un paysage fantastique et des couleurs exprimant le néant? Evidemment, nous pouvons ajouter que le manque de précisions concernant leslieux est un détail important du décor inventé par Baudelaire. En effet, ce dernier utilise tout au long du poème des articles indéfinis: « un », « une » (vers 1), « aucun » (vers 25), lorsqu'il évoque l'endroit où se déroule la scène, ce qui rend toute localisation impossible. Même avec la description du paysage il nous manque des éléments géographiques afin de situer cet endroit. Nous…
Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés. Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain. Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi. Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher. Chose curieuse à noter: aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même.
Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher. Chose curieuse à noter: aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours. Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain. Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.