Théâtre de la Croix-Rousse / Extraite du conte, Blanche Neige se cogne au réel. Et comme toujours avec le talent de la compagnie la Cordonnerie, cela fait du bruit; ou plutôt des bruitages, magnifiquement pensés et réalisés. Bienvenue au royaume ainsi nommé « par des architectes qui n'avaient pas peur du ridicule » car, très loin de l'univers parfois inquiétant mais toujours enchanté de Disney, celui-ci est fait de béton. Gris. Depuis qu'il a monté la Cordonnerie en 1997, Samuel Hercule — avec Métilde Weyergans qui l'a rejoint en 2003 — détricote les hits des enfants. Ali Baba, Barbe Bleue, Hansel et Gretel (à la Croix-Rousse à Noël prochain) passent à la centrifugeuse de ces deux artistes pour être transformés en objet vidéo et sonore. à lire aussi: La méthode La Cordonnerie Un film projeté en fond de scène montre cette gamine « qui n'est pas blanche comme neige » en lutte avec sa mère, 42 ans, hôtesse de l'air, élevant mal an mal an une ado gothique mâchant du chewing-gum, casque vissé sur les oreilles, préfèrant fuguer dans la forêt que rester dans sa cité.
A partir de 8 ans Dans cette version décapante de Blanche-Neige, la parole est donnée à la « méchante » reine, devenue ici une belle-mère de quarante ans peinant difficilement à élever une adolescente aussi gothique que rebelle dans une des « plus hautes tours » HLM de Berlin Est. Fidèle à sa réputation, la compagnie La Cordonnerie poursuit son travail de déconstruction de ces histoires connues de tous, auxquelles elle tord régulièrement le cou en inventant une nouvelle forme: le ciné-spectacle. Une façon neuve de convoquer sur le plateau la magie du cinéma, les dernières trouvailles technologiques en matière de son et le plus artisanal du théâtre. Sur scène, placés devant l'écran, des acteurs, musiciens et bruiteurs, créent en direct la bande-son du film, récupérant sur un tapis roulant une collection d'objets hétéroclites. Du conte originel, rien ne manque. Pas plus les sept nains, volés dans les jardins des quartiers résidentiels que le cageot de pommes envoyé à sa fille par un père absent.
Ils osent mélanger le mythe et le réel, et marier cinéma et spectacle vivant. Sur grand écran, les images d'un film que le tandem a entièrement écrit, joué et monté. Sur scène, ils deviennent acteurs et accompagnés notamment du musicien Timothée Jolly fabriquent à vue toute la partie sonore: les voix des personnages, la musique et les bruitages réalisés par des moyens artisanaux. La compagnie met cette fois un accent particulier sur les objets utilisés, très hétéroclites. La rencontre entre l'image et des interprètes en chair et en os, donne vie à l'histoire et produit une forme d'enchantement. Tournant le dos au merveilleux des légendes, le Blanche-Neige de la Cordonnerie s'affirme comme un conte urbain, sur les modèles féminins donnés aux jeunes filles, et rejoint la question universelle des relations entre les enfants qui grandissent et leurs parents. dans la presse « Le conte joue parfaitement son rôle, qui est de mettre à distance les peurs, les fantasmes, les conflits familiaux. » Fabienne Darge – Le Monde Biographie...
Par Trina Mounier Les Trois Coups Métilde Weyergans et Samuel Hercule travaillent comme les cordonniers, avec quelques outils simples du quotidien. Mais ils œuvrent sur les mythes, qu'ils restituent aux enfants d'aujourd'hui tout frais, tout neufs, infiniment parlants. Éblouissant, respectueux, intelligent, bouleversant et rigolo… Un mot d'abord de ces artisans qui font vivre le théâtre comme nul autre. Ils ont créé la Cordonnerie depuis près de vingt ans, confectionnent des spectacles pour le jeune public et font mouche à chaque fois. Ce qu'ils proposent est extrêmement sophistiqué mais ressemble à du bricolage. Humbles, ils façonnent sous nos yeux tout simplement une histoire et du rêve avec trois bouts de ficelle mais en quatre dimensions puisque tout est doublé sur écran, démultipliant les regards. Cela demande une maîtrise incroyable, une précision millimétrée, un goût du jeu communicatif et surtout un respect du jeune public devant lequel on ne peut que s'incliner. Le titre tout d'abord intrigue.
De la science du scénario bien ficelé (monté par Métilde Weyergans et Samuel Hercule) dont l'avancée narrative nous prend comme un thriller. Du jeu des acteurs, formidables de présence et de subtilité. De la musique enfin, constante, jouée en direct par des interprètes inventifs et talentueux. Il convient d'ajouter une bande-son qui comprend les voix des comédiens et qui se fabrique sous nos yeux: tandis que se déroule sur l'écran le film de leur aventure, Métilde Weyergans et Samuel Hercule s'occupent des voix et des bruitages. Lui est placé derrière une sorte de tapis roulant sur lequel se succèdent les différents outils et accessoires qui vont faire naître le tonnerre, les éclairs, la pluie sur le caoutchouc, les fermetures Éclair qui grincent et grippent, les godasses s'arrachant de la gadoue… Elle est juchée sur une petite tablette de bois qui répercutera tous les pas. À côté d'elle, un micro comme si on était dans une émission de radio et des serrures et des clés utiles pour les entrées-sorties.
Le merveilleux est là, à portée de main, dans ce va-et-vient magique entre théâtre et cinéma, entre passé et présent.