Jean-Pierre Claris de Florian Fables - 1792 La Fable et la Vérité La Vérité toute nue Sortit un jour de son puits; Ses attraits par le temps étaient un peu détruits, Jeune et vieux fuyaient sa vue: La pauvre Vérité restait là morfondue, Sans trouver un asile où pouvoir habiter. À ses yeux vient se présenter La Fable richement vêtue, Portant plumes et diamants, La plupart faux, mais très brillants. Eh! Vous voilà! bonjour, dit-elle: Que faites-vous ici seule sur un chemin? La Vérité répond: vous le voyez, je gèle: Aux passants je demande en vain De me donner une retraite, Je leur fais peur à tous. Hélas! je le vois bien, Vieille femme n'obtient plus rien. Vous êtes pourtant ma cadette, Dit la Fable, et, sans vanité, Partout je suis fort bien reçue; Mais aussi, dame Vérité, Pourquoi vous montrer toute nue? Cela n'est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous; Qu'un même intérêt nous rassemble: Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble. Chez le sage, à cause de vous, Je ne serai point rebutée; À cause de moi, chez les fous Vous ne serez point maltraitée.
Henri Godet La Fable et la Vérité Vers 1893 esquisse en terre cuite H. 24, 5; L. 14, 0; P. 13, 0 cm. Don sous réserve d'usufruit de Mlle Godet, fille de l'artiste, 1981 © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle Henri Godet, La Fable et la Vérité, Vers 1893, esquisse en terre cuite, H.
Cette notion est capitale, peut être plus encore à l'époque de Florian, dans un XVIIIème siècle dominé par le paraitre Ainsi, la Vérité, qui est nue, est difficile à accepter. C'est pourquoi la Fable lui propose de venir sous son manteau lui offrant ainsi une protection. Concrètement, la Fable, et donc la fiction, fera passer plus facilement la morale que si cette dernière était nue. Nous allons maintenant étudier les bénéfices que peuvent tirer les deux personnages de cette association. ]
Aussi pouvons-nous nous demander comment l'auteur s'y prend-il pour transmettre sa morale. Nous verrons tout d'abord la double personnification présente dans ce texte, avant de porter notre attention sur la dimension polémique de cette fable. I. La double personnification 1. 1 L'hideuse vérité... • Une personnification péjorative On remarque qu'une première partie de la fable (du vers 1 à 6) est dédiée à la présentation péjorative de la vérité. - La vérité est mise en scène dès le premier vers par « La vérité toute nue ». Il s'agit là d'une personnification qui se prolongera tout au long de la fable. De plus, le fait qu'elle soit nue donne l'idée de pauvreté. Celle-ci se remarque aussi par « ses attraits par le temps étaient un peu détruits » ce qui indique qu'en plus d'être nue et sans logis, la femme est vieille et laide. « Vielle femme n'obtient plus rien » conforte cette proposition. Elle a cependant été belle comme nous l'indique l'utilisation de l'expression « par le temps ». De plus, « pauvre » dans « la pauvre vérité » insiste sur la pauvreté de la vieille femme.